Quand le dire se dédouble : duplicité énonciative et stratégies discursives associées

Publié le 10 février 2020 Mis à jour le 15 février 2020
le 13 mars 2020
9h-17h
Amphi F417, Maison de la Recherche, UT2J

La duplicité se définit, de façon première, comme le caractère de ce qui est double. À cette notion de dédoublement peut également s’ajouter une notion de caractère feint, de dissimulation. Le cas échéant, la dissimulation est supposée s’appliquer à l’élément qui est pragmatiquement visé (le but ultime d’un acte de langage par exemple), contrastant ainsi avec le niveau « de surface », qui deviendrait, en fin de compte, secondaire. Les interactions verbales – et l’intersubjectivité qu’elles impliquent – peuvent ainsi être analysées sous l’angle de cette notion de duplicité, qu’elle soit stratégique ou non : en effet, toute communication implique un décryptage du message prenant en compte, non seulement le plan locutoire, mais aussi le plan illocutoire, en lien avec les intentions du locuteur/énonciateur, dans un contexte donné.

Appliquée plus précisément au domaine de l’énonciation et au plan discursif, la duplicité peut donc tout d’abord être comprise de façon relativement neutre – en tant que dédoublement simple (lié à la richesse de la langue et à sa mise en œuvre en discours), sans nécessairement impliquer un surcroît en termes de manipulation de l’interlocuteur. La notion peut alors intéresser le champ des connotations (cf. Kerbrat-Orrechioni, 1977) s’ajoutant aux dénotations, ou encore celui de la présupposition, comme des inférences (cf. Sperber & Wilson, 1986). Il peut en outre s’agir du champ du dialogisme, qui concerne l’incorporation des mots ou des points de vue d’autrui (cf. Bakhtine, 1924). Les actes de langage indirects (cf. Austin, 1962 ; Searle, 1975) constituent également des exemples de faits langagiers dans lesquels le dire se dédouble, opérant une bifurcation entre le plan locutoire et le plan illocutoire. Ces actes de langage indirects sont, pour une bonne partie, relativement codifiés par la langue, même si d’autres font l’objet d’une appropriation plus personnelle. La question de la politesse peut également impliquer un écart entre ce qui est pensé et ce qui est effectivement dit (cf. Brown & Levinson 1987), dans le respect des conventions sociales, sachant que certaines d’entre elles sont destinées à préserver la « face » d’autrui (cf. Goffman, 1955).

Le dédoublement peut structurer certaines formes langagières de façon définitoire et intrinsèque : le champ de la méta-énonciation (voir Authier-Revuz, 1995) sera à cet égard pertinent, dans la mesure où il implique deux niveaux entremêlés : celui du dire, et celui d’un commentaire sur le dire. Le domaine du discours rapporté (voir par exemple De Mattia-Viviès, 2006, 2010, ou Rosier, 2008), et particulièrement les phénomènes de discours indirect libre (pour leur fort degré d’imbrication de deux discours), trouvent également toute leur place dans ce champ du dédoublement de la parole. On pourra encore penser aux dédoublements langagiers impliqués par l’accompagnement du niveau verbal par le niveau paraverbal, par le biais de la mimo-gestuelle notamment (cf. Cosnier, 1996, par exemple), de même qu’aux informations ajoutées au contenu du message par le biais de la prosodie.

Lorsque la duplicité est comprise au sens de stratégie consistant à feindre, à dissimuler, afin de faire passer, de « dire sans dire » un contenu éventuellement critique, manquant de bienséance, ou délicat à verbaliser, elle peut être reliée cette fois aux sous-entendus (cf. Kerbrat-Orecchioni, 1986), au champ des euphémismes (cf. Jamet & Jobert, 2010), mais aussi au domaine de l’ironie (Kerbrat-Orecchioni, 1980, Eggs, 2009 ou encore Jobert & Sorlin, 2018). La question des ambiguïtés (cf. Fuchs, 1996) peut également être incluse, sachant que ces dernières peuvent être involontaires, mais aussi participer de stratégies discursives et rhétoriques. Toujours dans le champ rhétorique, les métaphores (cf. Lakoff & Johnson, 1980) pourront également être prises comme objet d’analyse, en corrélation avec les stratégies créatives et pragmatiques – de manipulation, éventuellement (cf. Digonnet, 2014) – qu’elles permettent de déployer.


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