PoKES - The Politics of Knowledge, Expertise, and Science



Organisation

Michael Stambolis-Ruhstorfer

Avec le soutien financier de l’Institut Universitaire de France

Présentation

Les expert·es ont toujours provoqué des vagues politiques et culturelles. En 2020, cependant, ces vagues ont pris l'ampleur d'un véritable raz-de-marée, les populations du monde entier se précipitant pour réagir à la menace d'une épidémie mortelle. Qu'il s'agisse de surfer sur ces vagues pour atteindre de nouveaux sommets de popularité ou de nager à contre-courant, les responsables politiques et les scientifiques naviguent dans des eaux très agitées. Par exemple, le président américain Joseph Biden a déclaré que sous son administration, « nous redonnons la parole à la science ». Pour démontrer cet engagement, M. Biden a élevé le Bureau de la politique scientifique et technologique de la Maison-Blanche au rang de ministère et a publiquement annulé les directives de l'ère Trump qui restreignaient l'expression publique des scientifiques travaillant pour des agences fédérales. Dans le même temps, d'autres dirigeant·es, comme le président français Emmanuel Macron, ont alterné les éloges et les critiques à l'égard des avis des conseils scientifiques qu'ils ont eux-mêmes créés pour lutter contre l'épidémie. Leurs rivaux politiques de tous bords marchent sur une fine ligne rhétorique entre la dénonciation d'un gouvernement d'experts contre la volonté populaire d'une part et les dangers des théories conspirationnistes anti-scientifiques d'autre part. Ce séminaire cherche à interroger l'intersection inconfortable, déroutante et conséquente de la politique, de la science et de l'expertise, dont la crise du Covid-19 n'est que le dernier exemple dramatique.

Les responsables politiques—et les groupes qui font pression sur elles et eux—sont confrontés à des incertitudes techniques, éthiques et politiques lorsqu'ils et elles abordent des questions controversées. Ces responsables recherchent souvent des informations dont ils espèrent qu'elles leur fourniront une orientation ou une autorité. Mais quels types de connaissances les incitent à prendre une décision sur des questions dont la nature même est source de désaccord ? Bien qu'ils soient classés comme principalement techniques ou strictement moraux, certains problèmes sociaux—en particulier ceux qui concernent la signification, l'impact ou la survie de la vie humaine—exigent des politiques qu'elles et ils négocient des terrains scientifiques et éthiques contestés. Centré sur cette question, ce séminaire examine comment et pourquoi les « expert·es », au sens large, ainsi que les militant·es et les décideur·euses politiques interagissent et s'influencent mutuellement lorsqu'ils et elles s'attaquent à des questions contestées et à fort enjeu en Europe et en Amérique du Nord.

Ce séminaire invite les checheur·euse qui analysent les dimensions politiques, scientifiques et éthiques de ce terrain disputé. Les exemples incluent, sans s'y limiter, le changement climatique, la santé publique, les études culturelles, l'éducation, la sexualité et les revendications de droits fondées sur le genre, la surveillance des données, la justice sociale et les droits de l'homme, ainsi que la politique économique. La recherche actuelle tend à analyser certaines questions, telles que le changement climatique, sous l'angle de la « science politisée » (McCright et Dunlap 2011) et à en analyser d'autres, notamment les droits des minorités sexuelles et de genre, sous l'angle de la « politique de la moralité » (Engeli, Green- Pedersen et Thorup Larsen 2012). Ce séminaire a pour but d'entamer une conversation visant à dépasser ce clivage théorique. En analysant les interactions entre les expert·es, les militant·es et les décideur·euse politiques sur une variété de questions, il s'efforce de mettre en lumière les façons dont l' « autorité » scientifique et morale peut sous-tendre toutes ces questions. Plus largement, il met l'accent sur la « dimension épistémique » (Verloo 2018) de la politique en examinant comment les producteurs de connaissances, qu'il s'agisse de scientifiques et de professionnels ou d'activistes et d' « expert·es profanes » (Epstein 1996), contribuent au changement social.

Les relations entre les expert·es, les décideur·euses politiques et les militant·es sont importantes car elles peuvent transformer des phénomènes auparavant ignorés en problèmes sociaux urgents qui attirent l'attention critique des médias, du monde politique et du public4/5 (Eyal 2013 ; Tilly et Tarrow 2007 ; Zippel 2006). Ils façonnent la manière dont le public et les politiques perçoivent, par exemple, la menace du changement climatique, la sécurité des vaccins ou la nécessité de prendre au sérieux la violence fondée sur le genre. Nous savons qu'une fois qu'un problème est identifié, les défenseurs des deux camps continuent à travailler avec des expert·es pour produire des informations afin de convaincre les décideurs politiques (Stone 2011). Les informations scientifiques peuvent être particulièrement efficaces—notamment devant les tribunaux—parce qu'elles peuvent résister à un examen critique et projeter une légitimité (Jasanoff 2009). C'est pourquoi les mouvements sociaux investissent dans des alliés universitaires (Armstrong et Bernstein 2008). Cette relation « triangulaire » (Paternotte et Kollman 2013) entre les militant·es, les expert·es et les responsables politiques crée des « communautés épistémiques » (Smirnova et Yachin 2015) parmi les personnes ayant les mêmes perspectives politiques ou intellectuelles. Ainsi, par exemple, les climatologues et les écologistes favorables aux restrictions sur le carbone doivent rivaliser avec les scientifiques et leurs alliés politiques qui nient que l'homme soit à l'origine du changement climatique. La capacité de ces communautés épistémiques à faire avancer leur agenda peut dépendre du pouvoir qu'elles exercent dans leurs domaines académiques et politiques respectifs (Fligstein et McAdam 2012). Plus précisément, les responsables politiques peuvent être plus enclins à croire les experts dont les affirmations représentent le consensus de leur discipline. Révélant l'importance de cet effet, les militant·es tentent d'influencer la production de connaissances scientifiques afin de pouvoir prétendre que la recherche soutient leurs objectifs (Jasanoff 2004). En outre, les ONG et les think tanks bien financés (Béland et Cox 2010) permettent aux communautés épistémiques de mettre en commun leurs ressources malgré la marginalisation à laquelle elles pourraient être confrontées (Stambolis-Ruhstorfer 2020). En effet, c'est peut-être grâce à ces ressources que les scientifiques qui doutent du changement climatique, bien que minoritaires, continuent de faire entendre leur voix dans les débats publics (Dunlap et Jacques 2013). Cependant, ces réseaux sont également confrontés à des lieux d'élaboration des politiques où les règles relatives au rôle de l'expertise sont différentes, comme les tribunaux et les assemblées législatives, qui varient en fonction des contextes politiques nationaux et transnationaux. Par conséquent, les travaux qui sont attentifs au rôle litigieux des experts dans leurs contextes historiques et institutionnels en Europe et en Amérique du Nord offrent des perspectives particulièrement fructueuses (Beyers et Braun 2014 ; Ruzza 2004 ; Thornton, Ocasio, et Lounsbury 2012 ; Woll 2006).

Ce séminaire accueille des travaux issus des sciences humaines et sociales qui examinent l'intersection entre la politique et la production du savoir, au sens large, dans des contextes locaux ou nationaux en Amérique du Nord, en Europe et/ou dans des institutions supranationales, telles que l'Union européenne ou les Nations unies. Les travaux comparatifs portant sur l'un de ces contextes sont particulièrement encouragés, mais ne sont pas obligatoires. Les travaux théoriques et empiriques sont les bienvenus, de même que ceux qui portent sur des périodes historiques allant du 18e siècle à nos jours.

Bibliographie

  • Armstrong, Elizabeth A., and Mary Bernstein. 2008. “Culture, Power, and Institutions: A Multi-Institutional Politics Approach to Social Movements.” Sociological Theory 26 (1): 74–99. https://doi.org/10.1111/j.1467-9558.2008.00319.x.
  • Béland, Daniel, and Robert Henry Cox, eds. 2010. Ideas and Politics in Social Science Research. Oxford, UK: Oxford University Press.
  • Beyers, Jan, and Caelesta Braun. 2014. “Ties That Count : Explaining Interest Group Access to Policymakers.” Journal of Public Policy 34 (1): 93–121.
  • Dunlap, R. E., and P. J. Jacques. 2013. “Climate Change Denial Books and Conservative Think Tanks: Exploring the Connection.” American Behavioral Scientist 57 (6): 699–731. https://doi.org/10.1177/0002764213477096.
  • Engeli, Isabelle, Christoffer Green-Pedersen, and Lars Thorup Larsen, eds. 2012. Morality Politics in Western Europe. London: Palgrave Macmillan.
  • Epstein, Steven. 1996. Impure Science: AIDS, Activism, and the Politics of Knowledge. Berkeley: University of California Press.
  • Eyal, Gil. 2013. “For a Sociology of Expertise: The Social Origins of the Autism Epidemic.” American Journal of Sociology 118 (4): 863–907. https://doi.org/10.1086/668448.
  • Fligstein, Neil, and Doug McAdam. 2012. A Theory of Fields. Oxford, UK: Oxford University Press.
  • Jasanoff, Sheila, ed. 2004. States of Knowledge: The Co-Production of Science and the Social Order. New York: Routledge.
  • ———. 2009. Science at the Bar: Law, Science, and Technology in America. Cambridge, MA: Harvard University Press.
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  • Paternotte, D., and K. Kollman. 2013. “Regulating Intimate Relationships in the European Polity: Same-Sex Unions and Policy Convergence.” Social Politics: International Studies in Gender, State & Society 20 (4): 510–33. https://doi.org/10.1093/sp/jxs024.
  • Ruzza, Carlo. 2004. Europe and Civil Society: Movement Coalitions and European Governance. Manchester, UK: Manchester University Press.
  • Smirnova, Marianna Y., and Sergey Y. Yachin. 2015. “Epistemic Communities and Epistemic Operating Mode.” International Journal of Social Science and Humanity 5 (7): 646–50.
  • Stone, Deborah. 2011. Policy Paradox: The Art of Political Decision Making. Third Edition. W. W. Norton & Company.
  • Thornton, Patricia H., William Ocasio, and Michael Lounsbury. 2012. The Institutional Logics Perspective: A New Approach to Culture, Structure, and Process. Oxford, UK: Oxford University Press.
  • Tilly, Charles, and Sidney G. Tarrow. 2007. Contentious Politics. Boulder, CO: Paradigm Publishers.
  • Verloo, Mieke. 2018. “Gender Knowledge, and Opposition to the Feminist Project: Extreme-Right Populist Parties in the Netherlands.” Politics and Governance 6 (3): 20–30. https://doi.org/10.17645/pag.v6i3.1456.
  • Woll, Dr Cornelia. 2006. “Lobbying in the European Union: From Sui Generis to a Comparative Perspective.” Journal of European Public Policy 13 (3): 456–69. https://doi.org/10.1080/13501760600560623.
  • Zippel, Kathrin S. 2006. The Politics of Sexual Harassment: A Comparative Study of the United States, The European Union, and Germany. Cambridge, UK: Cambridge University Press.

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